Dans le hall de l'Esprit serein

 

Jean-Pierre Drège, né à Troyes en 1946, a mené ses recherches et son enseignement sur le livre de Chine, dans le cadre de l'École pratique des hautes études puis de l’École française d'Extrême-Orient, dont il fut nommé directeur en 1998. On lui doit – avec reconnaissance – une exploration approfondie de textes rares et jusque-là non ou mal traduits concernant les manuscrits, l’imprimerie et les bibliothèques, qu’à force de creuser il ne pouvait échapper à une investigation sur leur supports eux-mêmes, et notamment le plus ancien papier du monde.

 

C’est ainsi qu’il nous livre aujourd’hui un trésor documentaire de cinq cents pages, organisé en deux parties : une première moitié, titrée par litote « Introduction », est un panorama chronologique allant de la cahotante naissance du papier jusqu’au XXe siècle, la seconde partie étant consacrée aux extraits des trente auteurs chinois les plus significatifs, dont les écrits les plus vieux qui subsistent remontent au VIe siècle (mais certains, comme le Wenfang si pu de Su Yijian, évoquent et citent des ouvrages perdus bien antérieurs).

 

Que l’on soit anachorète ou empereur, la pratique sublime de l’écriture au pinceau est un devoir pour les élites chinoises, en même temps qu’elle s’accompagne d’une satisfaction profonde. C’est pourquoi les commentaires sur les richesses du papier foisonnent au fil des temps, plus encore que pour les trois autres trésors (l’encre, la pierre à encre et le pinceau) car cette matière vivante et noble suscite l’exaltation, voire la ferveur : le chengxintang *, par exemple, est décrit par un connaisseur « lisse comme la glace du printemps, aussi dense qu’un cocon. En le caressant, la surprise a envahi mon cœur ». Ces savantes comparaisons des matières premières (rotin, chanvre, mûrier, bambou, santal bleu…) et des recettes de fabrication, ces anecdotes et légendes, l’évocation des lettrés-artisans ou de l’excitante Xue Tao -, donnent lieu à de nombreux documents, dont les plus fameux sont les « Quatre répertoires du studio des lettrés » de Su Yijian, le « Registre pur des grottes célestes » (Zhao Xigu) ou « Le Travail du ciel dans l’ouverture des choses » (Song Yingxing), selon les titres précieux que leur donne ici le rigoureux auteur. Celui-ci pousse par ailleurs le scrupule jusqu’à souligner combien ces affirmations des temps reculés prêtent parfois à perplexité. De nombreuses notes en pied de page apportent alors tout éclaircissement possible, ce qui fait que la lecture de son ouvrage finit par évoquer une passionnante quête de vérités enfouies, à la recherche entre autres du papier « au parfum de miel », qui est « fin et brun, avec des vergeures en œufs de poisson ». Ajoutons que le plaisir de ces évocations mythiques se trouve renforcé par le fait que nombre des activités décrites se pratiquent encore traditionnellement dans quelques provinces de Chine. Pour l’instant.

 

* "Hall de l'Esprit serein".

 

Le Papier dans la Chine impériale, Textes présentés, traduits et annotés par Jean-Pierre Drège, Paris, Les Belles Lettres, 2017. 

 

 

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