La maison qui s’agrandit au fur et à mesure qu’elle se visite est un ressort qui va de soi dans la littérature noire ou fantastique depuis des siècles. On le trouve même dans des romans populaires récents, qui hélas restent tous en dessous de la vérité du thème, faute d’écrivains nourris de lectures classiques et d’avoir vécu dans de réelles maisons qui n’étaient pas moins féériques.
L’origine du présent manuscrit, entamé vers 1960, est l’injonction venue d’eux-mêmes de noter les rêves mystérieux où la maison jouait un rôle majeur. Ces songes, récurrents pendant l’adolescence, ont fini par ne plus se produire ou bien cessèrent de survivre au réveil. Il est vraisemblable que les impressionnantes lectures ci-dessous les avaient conditionnés – ou bien leur choix en fut la conséquence –, de même qu’elles permettaient d’apprécier de manière aiguë les sortilèges des vieilles maisons familiales où l’auteur eut la chance de « loger son imagination » (Jünger, repris par Gracq).
L’à peu près totalité des contes et nouvelles d’Edgar Allan Poe laisse la plus profonde trace dans l’âme du jeune rêveur de maison, comme le font La Maison aux sept pignons, Nathaniel Hawthorne ; Le Château d'Otrante, Horace Walpole ; Vathek, William Beckford ; Dracula, Bram Stoker ; Les Mystères d'Udolphe, Ann Radcliffe ; Le Moine, Matthew Gregory Lewis ; Olalla, Robert Louis Stevenson ; Le Château des Carpathes, Jules Verne, Au Château d’Argol, Julien Gracq, jusqu’à Witold Gombrowicz avec ses Envoûtés, ainsi que des influences moins directes, de Fulcanelli au film Cube (1997) en passant par Lewis Carrol et bien d’autres ouvrages, maintenant oubliés voire indisponibles.
La rêverie des caves, des greniers, des tiroirs et des corridors est thématisée et commentée par Gaston Bachelard, principalement dans La Poétique de l'espace, un ouvrage fondamental que tout lecteur se doit de découvrir à dix-huit ans.
Quant à la prose en fragments de notre jeune auteur, elle circula un peu chez des éditeurs amis (de Robert Morel à Denoël) sous forme de projet de manuscrit, puis fut laissée de côté pendant un bon demi-siècle (où elle a peut-être fuité), et enfin reprise, augmentée et mise en forme à la faveur de l’événement appelé « le Grand Confinement de 2020 ». Grâces en soit rendues au destin qui l’a imaginé et imposé.
Ainsi se sont ajoutés divers éléments, dont la trame, le thème de l’architecte qui excave et fait monter dans les étages les antiquités, etc.
Le titre – déjà décidé à l’origine – vient directement du nom de la Hauteville House, cette habitation bourgeoise de Guernesey que Victor Hugo, confiné, lui, pour quatorze ans, s’est occupé de moduler et modeler selon ses divagations sans brides (« si je n’avais pas été écrivain, j’aurais fait un bon décorateur », dit-il dans une lettre) jusqu’au jour où c’est la maison outrageusement chargée de sens qui se met à vivre et devient à son tour la puissante inspiratrice du génie hugolien. Nous ne pensons pas la maison, c’est elle qui nous pense.
Ainsi le roman Maison House est-il le journal qui explore la synergie entre deux imaginaires : celui de la maison gorgée des vies accumulées et celui de qui ose l’habiter, le sachant ou le découvrant.
Un dernier mot mais non le moindre : si les rêves racontés ont été réellement faits, il s’agit aussi d’un roman à clefs, où toutes les informations correspondent à une réalité et ont été vérifiées. Quant aux références littéraires ou historiques cachées, il y en a près de cent. Et si quelqu'un arrive à les énumérer toutes, tous mes prochains ouvrages lui seront offerts à parution, dédicacés bien sûr.
Enfin, l'épigraphe est empruntée à Jean Paul, qui relevait les mots d'enfants quand il était enseignant. Jean Paul, Levana, L'Age d'homme éd., 1983, p.73.